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(TA) Le lion est mort ce soir

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K-Zlovetch's avatar
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Tout était trop, beaucoup trop facile.

C'était comme si personne ne gardait vraiment cette terrifiante forteresse à la réputation aussi haute que ses murailles. Viktor en venait même à avoir la curieuse sensation d'être le héros chanceux d'un film d'espionnage, infiltrant la base secrète ennemie par la ventilation durant la pause-café des méchants sbires. Ce ne pouvait être ainsi... on se trouvait dans la réalité ! La pure et bête réalité ! Qu'est-ce qui clochait à la fin ?
Et Gouri... ne semblait même pas s'en soucier. Sans doute qu'il était trop grisé par leur récent succès pour se dire que ça sentait le paranormal à pleine truffe ! Tout sourire dans sa crinière attachée, baguette à la patte, il humait l'air nocturne avec la réelle satisfaction d'être là.

— Dis..., commença le jeune homme.

Pitié... pas le "Dis..." viktorien. Le mage le plus blond savait que quand son ami commençait une phrase de la sorte, c'est qu'il avait quelque chose de désagréable à l'esprit, et c'était toujours terriblement rébarbativement ennuyeux.

— Quoi Vika ? soupira-t-il, peu enclin à l'écouter.
— J'le sens pas...
— Tu ne sens jamais rien ! Sois brave un peu !
— Je me sens surtout nauséeux à cause de ta fichue vodka... et en mauvaise posture aussi...
— En mauvaise posture ? s'étonna l'autre en fronçant les sourcils. Mais... pas du tout ! Juste que ces idiots du Phoenix ont tellement confiance en leur système qu'ils ne daignent pas mettre des gardes en plus à l'intérieur, allez, viens donc !

Il ne lui laissa pas le temps de répliquer, s'enfonçant dans l'obscurité du patio pour rejoindre l'ombre projetée par les bâtiments afin de les longer. On ne pouvait ouïr aucun son à l'intérieur de l'enceinte, un peu comme si celle-ci se trouvait sous un immense dôme invisible, si épais que le monde extérieur et ses sensations n'avaient plus cours ici.
Le dos voûté, le cœur battant à tout rompre à cause de l'excitation et de la peur, Viktor le suivait à pas lents. Car oui, il avait peur, et l'alcool n'y changeait strictement rien contrairement à ce qu'affirmait son téméraire autant qu'inconscient camarade. Grigori Dvorianov devait pourtant se trouver ici, quelque part... et il avait hâte de connaître la vérité, de lui pardonner et de le tirer de là si possible. C'était ainsi que cela devait se passer, pas vrai ?

Faux.

Les deux garçons ne savaient donc pas que leur miraculeuse entrée n'était due qu'à la chance et rien d'autre ? Personne pour surveiller, toujours pas un bruit et presque pas de lumière... Krajno Mesno s'était-elle changée en manoir fantôme sans qu'on le sache ?
L'ambiance était si étrange et inconvenante que rien n'allait se dérouler comme prévu, et pour cause : ce soir était un soir pas comme les autres. Ceux qui ne travaillaient pas à la prison ne pouvaient en aucun cas être au courant, et la Résistance ne possédait pas d'espion dans les rangs des gardiens.

— Je dois me rendre par là, murmura Bronislavoï en désignant un point vague, mangé par les ténèbres. Tu sais où se trouve ton bonhomme à toi ?
— Non...

Viktor évita de lui poser "la" question qui était : "Et toi, pourquoi ou pour qui tu es ici exactement ?" et en échange, Gouri se garda de lui demander la même chose. C'était le deal informulé.

— Dans une trentaine de minutes si possible, on se rejoint ici-même, entre les deux ailes. Sinon, sans réception rapide d'un signal via le Gage, chacun se débrouille pour sortir. Ok ?
— Ok. À tout à l'heure. Bonne chance...

Hochant la tête, le petit lion s’esquiva pour se faire immédiatement avaler par la gigantesque ombre portée d'un bâtiment qui semblait fermé. Son acolyte fit volte-face pour tenter sa fameuse "chance" de l'autre côté. C'était tellement stupide qu'il aurait bien éclaté de rire : il était dans la prison du Phoenix, sans même connaître l'emplacement de la cellule de celui qu'il recherchait... et avait vraiment trop bu.
S'il s'en sortait de celle-ci, il jurait de se faire percer une oreille ! Il gloussa silencieusement encore tant il lui fut aisé de faire sauter le sortilège de la porte puis s'en étonna fortement, comme de tout le reste. Si sa tête lui tournait et qu'il ravalait sans cesse une nausée malvenue, il lui restait un petit peu de conscience. Un peu. Juste assez pour lui dire qu'il serait tombé dans un piège que rien n'aurait été différent.

Personne à l'intérieur.
Personne.

Seulement le silence assourdissant d'un vide qui n'aurait pas dû être... Normalement, l'alarme devrait déjà retentir avec force, faisant venir une flopée de gardes armés, lui tombant dessus comme une nuée de moustiques affamés un beau soir d'été. Il aurait été maltraité, persécuté, raillé, emmené... puis aurait fini sa misérable vie décousue derrière les barreaux ou dans les laboratoires des Analystes puisque c'était sa destinée. Au lieu de ça, il arpentait des couloirs déserts dans lesquels le bruit de ses pas pourtant légers résonnait puissamment.

Toujours personne ? Et pas une seule alerte ?
Ce n'était vraiment pas normal...

Passablement effrayé par l’absence de réel danger, il songea un moment à tout abandonner, quitte à passer pour le sale lâche qu'il avait toujours été jusqu'alors, mais ne le pouvait pas : une partie de son être continuait à lui souffler sottement qu'en ce lieu, il trouverait enfin les réponses qu'il ne trouvait nulle part ailleurs.
Cependant... faute de réponse à ses vieilles questions, il en trouva rapidement une à ses nouvelles en tombant sur une note de service, placardée bien proprement sur l'un des murs internes, devant un bureau éteint et qui disait à peu-près ceci :

"Du 12 au 20, les bâtiments B et C seront vidés de tous les prisonniers afin de pouvoir en accueillir massivement de nouveaux. Les exécutions terminées, de nouvelles directives indiqueront la répartition prochaine et les réagencements qui en suivront. Les locaux devront rester propres jusqu'à nouvel ordre."

Très déplaisante réponse à vrai dire.

Les yeux les plus noirs du monde cillèrent lentement puis relurent l'affichage et son épouvantable annonce une fois. Deux fois. Et une troisième qu'ils ne purent achever totalement. Le mot "exécution" résonnait dans le crâne du sorcier comme si on le lui avait hurlé alors qu'il n'avait même pas déchiffré à haute voix.

Il était là, seul et mal en point dans un couloir désert et glauque.
Et maintenant ?

Sa chance insolente, celle qui lui valait d'être toujours en vie ou d'être simplement ici, dévoilait toujours un revers des plus atroces. La réalité cruelle venait de lui faire un nouveau pied-de-nez sympathique : il pourrait se vanter d'être entrée dans la prison de Sofia, mais il ne pourrait pas se satisfaire de cette visite. Aucune gloire à tirer ou information à glaner puisqu'il n'y avait rien à garder, et le passeur à la porte d'entrée et les quelques rondes externes des gardiens servaient uniquement à ne pas éveiller les soupçons.
La grande prison était vide. On n'était pas au printemps mais le grand nettoyage avait lessivé les cellules pour ne plus laisser que les échos des interrogatoires musclés et les fantômes des hurlements de douleur et d'horreur. Viktor se sentait actuellement comme ce bâtiment : vidé et confus, ne sachant plus très bien quel était son rôle, son but.

La foulée lente et une main nerveuse secouant ses cheveux trop emmêlés, le garçon recula d'un pas, puis d'un autre, continuant de fixer le fâcheux communiqué, peinant à intégrer ce qu'il signifiait.
Grigori Dvorianov, son ancien précepteur de magie, le type qui lui souriait en oubliant d'être sévère parfois, qui avait dansé la gigue en voyant son pull s'enflammer de bleu et qui aurait pu épouser sa mère rien que pour manger ses baklavas maison, était mort... Quatre ans passés à écouter les cours d'un homme dans un grenier, ça ne pouvait s'oublier d'un battement de cils et maintenant, sa "trahison" resterait en suspend...
C'était toujours quand quelqu'un mourait qu'on regrettait d'avoir été en colère contre ses actions, et là, le porteur du grand Don lui aurait presque pardonné d'avoir vendu ses propres parents au Phoenix, regrettant juste de ne pas avoir pu échanger quelques mots, comme autrefois, une dernière fois.

C'est à peine s'il eut conscience de refaire le chemin inverse pour sortir du bâtiment, et puis l'alarme, elle pouvait sonner qu'il ne s'en rendrait pas compte sur le coup. Elle ne sonnait toujours pas toutefois. Les capteurs étaient-ils endormis ou un piège attendait-il à la sortie ? Quelle importance de toute manière ! Il n'avait plus rien, plus aucun vrai lien à part peut-être...

— Gouri...? Murmura-t-il tout bas au point de rendez-vous. Gouriiiiiiii ?

Le dernier des Kravsanov fixa la montre qui ornait son poignet. Elle lui venait de son père et il l'aimait beaucoup, mais ce n'était pas ce à quoi il pensait, non. L'heure lui suffisait, et l'objet aux aiguilles goguenardes montrait que les trente minutes préconisées étaient passées et trépassées et qu'il était seul entre deux ailes à battre des siennes comme le jeune corbeau qu'il était. Dommage qu'il ne puisse pas s'envoler...

Une minute...
Cinq minutes...

L'atmosphère devenait lourde voire carrément obèse, pesant sur sa nuque qui suait à grosses gouttes, imprégnant le col de son pull et le tourbillon sale de sa longue queue de cheval. Le silence régnait en maître en-dehors du ronron cahotant des très rares passages automobiles que le sort englobant Krajno Mesno n’atténuait pas.

"Sinon, chacun se débrouille pour sortir."

Il ne pouvait quand même pas faire ça ? Partir sans le lion était impossible... impensable !

L'alarme sonna enfin, dans un bâtiment éloigné de la cour où il se trouvait. Tendant l'oreille, le mage nota très vite que ce n'était pas pour lui mais pour son partenaire de crime. Dans le même temps, il sentit son bras droit lui faire un mal de chien, à l'endroit où les veines se touchaient pour engendrer un Gage.

— Po dyavolite !* cracha-t-il avant de retenir son souffle haché.

Il était grand temps de décamper vitesse grand "V-iktor".

~~~

Comment avait-il fait pour rentrer ? C'était trop flou... Gouri savait conduire, pas lui, préférant tenter sa chance à pieds plutôt que de crever bêtement en revenant d'une des bouches de l'Enfer au volant d'une Lada rouillée rejetant ses vapeurs alambiquées de vodka frelatée.

Iechevski l'avait en effet littéralement crucifié sur place lorsqu'il avait passé la porte du GQ de la Résistance, fourbu, les yeux embués et surtout à la tombée de la nuit suivante, le temps de faire le chemin sans se faire prendre.
Sauf que Viktor l'avait à peine remarqué de même que son expression révoltée, déjà noyé depuis longtemps dans la culpabilité, le cœur en miettes et une lucidité bien trop retrouvée à son goût. Là, sur le sentier, peu avant d'arriver au petit village perdu où les hommes en rouge se cachaient aux yeux de la dictature, il avait senti que le Gage s'était rompu...

Le lion est mort ce soir.

Ça avait été comme un véritable coup de poignard.
Une claque, une gifle d'une violence inouïe.

Était-ce de sa faute après tout...?

Un peu...
Un peu trop donc.
Comme il s'en voulait...

Quand son partenaire de liaison magique décédait, on le sentait, inévitablement. Tout à coup, les énergies magiques volontairement partagées ne circulaient plus entre deux êtres, revenant se loger douloureusement dans celui qui restait, sentant le vide sidéral d'être plein de nouveau, complet, entier sans la présence rassurante des flux d'autrui. Un cri se mettait à faire écho dans la poitrine sans pouvoir s'enfuir, glapissant que la dernière part de l'autre venait de s'envoler en se cognant contre les bords d'une cage thoracique. Et ça, c'était pour les plus chanceux, comme lui, qui avaient le bonheur de... survivre... à un Gage subitement rompu.
Ressentir la mort, ça ne s'oubliait pas. Surtout en sachant qu'il ne saurait jamais ce qui s'était véritablement produit dans la grande prison cette soirée-là. Il fallait seulement se dire que le félin jeune homme n'avait fait que rejoindre la longue liste de ceux qui -selon un gouvernement empuanti- n'avaient pas eu leur place dans ce pays. On voulait des sorciers purs ici, pas des gens incapables de se satisfaire de l'idée que les non-magiques étaient des racistes tortionnaires qu'il convenait de punir à leur tour.

À quoi bon se lamenter d'être déresponsabilisé et surveillé doublement au sein de l'organisation rebelle ? D'être insulté, de voir les mains lasses passer sur les visages allongés ? De se sentir non plus l'élu encensé mais l'exclu insensé ? De sentir les anciens camarades s'écarter, affligés ?
Viktor n'était plus sur-couvé, mais uniquement gardé. Trop jeune, trop impulsif, trop inexpérimenté, trop... LUI. Il finirait bien par apprendre après tout ! Le temps le dirait. Un peu de sagesse dans son crâne embué lui soufflerait bien qu'être un Résistant actif ne signifiait pas jouer au héros égoïste en se mettant sottement en danger ! Avoir de plus grands pouvoirs ne faisait pas de lui un petit chef pouvant prendre des décisions suicidaires ! Au contraire.

Vexé. Blessé. Conscient qu'il avait fauté...

Il partirait sans doute après s'être dévoré deux fois, reprenant la fuite vers le néant pour ne plus infliger sa présence de corbeau porte-malheur aux braves d'ici.

Car le lion était mort un soir.

~~~

*Juron commun “по дяволите" qui signifie “enfer” dans le sens de "bon sang" ou “merde”.
FR only for now, I'm very sorry :/

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Viktor Kravsanov - TOUS LES TEXTES
OEtherium - TOUS LES TEXTES

Jeunesse de Viktor :
1) (Intro) Vitia
2) Le commencement
3) Vodka et Kozounak
4) Krajno Mesno
5) Le lion est mort ce soir

Viktor et Perséphone :
1) Le Styx londonien
2) The first last tea
3) La reine des Enfers
4) (Conclusion) The last first tea

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APRES PLUS D'UN AN, UN AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN ET DEMI BORDEL DE TCHIORT... j'ai essayé de finir ce petit bout de texte qui me bloquait énormément... Moi qui torche un texte en quelques heures d'ordinaire, hé bé...
Désolée, c'est pas forcément top et/ou crédible pour certains trucs mais je DEVAIS le finir pour avancer. Puis comme ça, le cycle des aventures de Viktor à la Résistance est pour le moment terminé.
Merci à Bianca-di-Palermo, Kaelmn et K-naille pour m'avoir encouragée.

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TA : Textes Annexes
AVOE : Avant l'Œtherium
OE1 : Œtherium
OE2 : After Œtherium

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Pipix21's avatar

Je te remercie pas de m'avoir mise la chanson dans la tête è_é


C'est trop triste... la mort de Gouri bien sûr, surtout le fait qu'on ne sache rien de ce qu'il s'est passé, et que Viktor ressente tout cela à travers le Gage (c'est trop bien pensé ce truc)

Mais aussi pour Grigori... Je suppose que Viktor a grandi avec cet homme, et sa trahison a du vraiment le briser... Mais comme tu l'écris, la colère se dissipe à la mort d'une personne. Et je suppose qu'avec le temps, Viktor prendra pleinement conscience de ce qu'à du vivre son précepteur, et le fait qu'il n'avait certainement pas eu le choix.


Bref, cette première partie était très cool à lire !